Confrontation




Nous avons depuis longtemps l’idée de récrire l’évangile de la femme adultère, mais le temps nous manque et les textes que nous voulions écrire à ce sujet trainent encore dans les limbes. Nous proposons donc, pour commencer cette méditation, d’organiser une petite confrontation préliminaire.

Ce terme de confrontation a quelque chose de vaguement juridique qui sied plutôt bien au sujet. Les juges organisent des confrontations lorsque l’audition et l’interrogatoire de chacune des parties en présence les laisse dans l’insatisfaction. Mais peut-être aussi que parfois, lorsqu’il n’y a pas de malaise, lorsque tout semble merveilleusement cohérent, il peut jaillir d’une confrontation l’impression désagréable que quelque chose ne va pas.

Premier texte : Evangile de Jean, chapitre 8. Pour mémoire, ce texte se situe juste avant un épisode assez désagréable pour notre seigneur : Jésus, s’adressant aux juifs qui le soutenaient, leur tient des propos tels que ses interlocuteurs finissent par ramasser des pierres pour le lapider.
Jésus gagna le mont des Oliviers. Dès le point du jour, il revint au temple et, comme tout le peuple venait à lui, il s'assit et se mit à enseigner. Les scribes et les Pharisiens amenèrent alors une femme qu'on avait surprise en adultère et ils la placèrent au milieu du groupe. «Maître, lui dirent-ils, cette femme a été prise en flagrant délit d'adultère. Dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Et toi, qu'en dis-tu ?» Ils parlaient ainsi dans l'intention de lui tendre un piège, pour avoir de quoi l'accuser. Mais Jésus, se baissant, se mit à tracer du doigt des traits sur le Sol. Comme ils continuaient à lui poser des questions, Jésus se redressa et leur dit : «Que celui d'entre vous qui n'a jamais péché lui jette la première pierre. » Et s'inclinant à nouveau, il se remit à tracer des traits sur le sol. Après avoir entendu ces paroles, ils se retirèrent l'un après l'autre, à commencer par les plus âgés, et Jésus resta seul. Comme la femme était toujours là, au milieu du cercle, Jésus se redressa et lui dit : «Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t'a condamnée ?» Il Elle répondit : «Personne, Seigneur» et Jésus lui dit : «Moi non plus, je ne te condamne pas : va, et désormais ne pèche plus. »
Textes de la TOB
Le second texte est une dépêche AFP datée du 27 septembre dernier.
Un homme désigné juré de la cour d'assises de Saône-et-Loire a été condamné à 500 euros d'amende pour avoir refusé de tenir ce rôle au moment de prêter serment, a-t-on appris jeudi auprès du parquet. A l'ouverture de la session d'assises en début de semaine dernière, une des personnes convoquées pour rendre la justice aux côtés des magistrats professionnels "a refusé de prêter serment", a déclaré le procureur de la République de Chalon-sur-Saône, Christophe Rode.
Selon le magistrat, l'homme n'avait pas demandé de dispense préalable et avait rejoint les autres jurés lorsque son nom avait été tiré au sort, mais a refusé de prêter serment. D'après le quotidien Le Journal de Saône-et-Loire, il aurait dit ne pas se sentir capable de juger une personne. Selon l'article 288 du Code de procédure pénale, "tout juré qui, sans motif légitime, n'a pas déféré à la convocation qu'il a reçue peut être condamné par la cour à une amende de 3.750 euros".

Soit dit par parenthèse, Sur un aspect de la prière commandée par Mgr vingt-trois.





La question, chère à Benoit XVI, de l’engagement des chrétiens en politique est une question complexe sur laquelle nous avons le projet de revenir plus à fond.
 

Nous voudrions simplement, ici, pour commencer à défricher le terrain, revenir sur la prière universelle du 15 aout dernier, que Mgr vingt-trois, archevêque de Paris, a fait dire dans toutes les paroisses de France. Elle a été beaucoup commentée. Aussi n’avons-nous pas ici la prétention de dire des choses très novatrices, simplement de donner quelques perspectives sur notre manière particulière d’aborder ces questions.

La hiérarchie catholique a la prétention d’intervenir dans le débat politique sur un certain nombre de questions qu’elle juge cruciales, et sur lesquelles elle s’est forgé une identité médiatique qui, non sans raisons, ne fait pas peu pour la rendre intolérable et inaudible à beaucoup. Le fait qu’elle semble se concentrer sur ces seules histoires de coucheries et de « bioéthique », quand d’autres questions non moins graves mériteraient son attention sans paraitre l’obtenir, ne fait évidemment rien pour améliorer les choses.

Le fait même de vouloir prendre part au débat démocratique, et donc de prescrire des orientations politiques à des gens qui ne partagent nullement la foi catholique, est une idée qui mériterait qu’on s’y attarde. En 2009, les évêques de France, sous la direction de Mgr D’Ornelas, s’étaient ainsi sentis obligés d’intervenir dans le débat sur la révision des lois de bioéthique en publiant deux fois 130 pages dans lesquelles on ne trouvait pas une seule référence à l’Evangile. (Le souci de l’exactitude nous pousse à préciser que l’introduction de l’un des deux volumes contenait, à la suite d’une mention très vague et très peu pertinente de la figure de Socrate, une référence lointaine à un passage méconnu de l’ancien testament.) Ce choix argumentatif est assez logique : dès lors qu’on s’adresse à des gens qui ne partagent pas la foi catholique ni la référence à l’Evangile, il serait absurde d’argumenter sur ces fondements-là. Il faut donc descendre dans l’arène politique avec les seules forces de la raison, et accepter par conséquent de n’avoir sur ses adversaires, aucune espèce de surcroit d’autorité, aucune force supplémentaire. Sur un tel terrain, il faut bien accepter, si bien armé qu’on soit, de s’exposer à des tentatives de réfutation, et même à des réfutations abouties.

Cette posture jure singulièrement avec l’idée selon laquelle l’Eglise catholique serait seule dépositaire de la vérité, qu’on a tellement reproché à Ratzinger d’avoir défendue. Et il faut avouer que voir la hiérarchie de l’Eglise engagée dans des institutions laïques à défendre la valeur d’une morale sans Dieu – puisque destinée à convaincre hors de ses rangs – n’est pas le moindre des paradoxes. Ce paradoxe était déjà bien présent dans l’encyclique humanae vitae, qui ne prend guère appui non plus sur l’Evangile, et proclame l’autorité du pape non seulement en matière de révélation divine mais aussi en matière de « loi naturelle ».

Les déclarations des évêques qui souhaitent contribuer au débat sur l’accessibilité du mariage aux homosexuels à un niveau « anthropologique », perpétuent encore cette étonnante gymnastique.

Il faudra réfléchir un jour à tout cela plus longuement.

Mais la prière contre le mariage homosexuel lue dans (presque) toutes les paroisses le 15 aout 2012, ne s’inscrit pas dans cette logique : c’était une prière, elle était adressée à Dieu et devait être dite par des gens qui partagent la foi catholique. 

La hiérarchie catholique française n’a pas eu tout à fait la franchise de faire prier contre l’institution d’un mariage civil – et donc d’une procédure d’adoption – accessible aux homosexuels. Elle a donc fait prier – dans une formule rappelant assez ses argumentaires contre la procréation médicalement assistée, l’avortement et la gestation pour autrui – pour que les enfants « cessent d’être les objets des désirs et des conflits des adultes pour bénéficier pleinement de l’amour d’un père et d’une mère. »[1]

Que les enfants cessent d’être des objets de désirs et de conflits, voilà un vœu dont il faut mesurer la portée : nous n’avons en effet déjà plus souvenir d’un temps où ils auraient pu être autre chose. Tant il est vrai que les modes d’exercice moderne du pouvoir ont tous fait de l’enfance un terrain stratégique crucial. La hiérarchie catholique ne pourrait prétendre y faire exception sans mauvaise foi.

Mais surtout, que faire, dans la glorieuse vision politique de nos évêques, des enfants élevés par d’autres que leur père et leur mère, ceux dont un parent est mort ou parti, ceux qui ont été élevés par leur oncle, leur tantes, leurs frères et sœurs, ou par des gens n’ayant avec eux aucun lien de sang ? Jésus lui-même, a été élevé comme chacun sait dans une ambiance de foire inqualifiable. A tel point que ses parents, en visite à la capitale, ont pu quitter la ville sans s’apercevoir qu’il n’était pas dans le convoi. L’expert qui, aujourd’hui, le recevrait préalablement à son passage devant le tribunal, relèverait, au récit de cet épisode, une « défaillance manifeste de la supervision parentale », comme on dit en langage d’expertises. Nos évêques, entichés d’anthropologie qu’ils sont, pourraient lire un peu d’anthropologie et ils constateraient que les sociétés où les structures de parenté correspondent au couple géniteur ne sont pas légion. 

Qu’on ne se méprenne pas sur l’objet de ces lignes : nous n’entendons pas apporter une énième contribution au débat sur l’homoparentalité, débat dans lequel nous aurions d’ailleurs honte et de répéter les banalités que nous avons entendues et d’usurper la place qui revient aux principaux intéressés[2]. Nous voudrions souligner ici le genre de posture qui se trouve derrière cette formulation, posture que l’instinct catholique applique à bien d’autres problèmes que celui dont il était question en ce 15 août : dans cette façon d’affirmer sans qu’on sache trop pourquoi la valeur normative d’un mode de vie particulier, historiquement daté, et de faire apparaitre tout ce qui s’en écarte, tout ce qui en dévie, comme irrémédiablement déficitaire, définitivement carencé, misérablement pitoyable, il y a quelque chose qui nous semble terriblement mortifère – et qui nous a inspiré, en ce fameux 15 aout, un viscéral dégoût et une insurmontable colère : il ne nous semble pas possible d’idolâtrer à ce point de pareilles abstractions sans porter en soi une effroyable haine de la vie. En cherchant à formuler ce qui pourrait être la justification sous jacente à de telles sentences, nous ne trouvons que ce principe fort douteux : « l’Autre souffre parce qu’il est Autre et par ce qui le rend Autre, et pour cette raison, il faut souhaiter pour lui qu’il ne le soit pas. »

Nous nous étions promis, en ouvrant ce blog, de ne jamais y être dogmatique ni même affirmatif, de nous contenter de jeter partout où cela semblerait salutaire du scandale et de l’interrogation. Mais ce point nous tient à cœur : rien ne nous semble plus éloigné de l’Evangile que ces généralités abstraites : la vie nous semble parfaitement étrangère à cette idée de conformation à un type optimal déterminé. La vie n'existe pas en général, qu'elle n'existe que particulièrement, et se confond avec la multitude de ses germes, dont nul n'embrasse jamais qu'une infime partie.

Par conséquent, l’idée d’argumenter pour déterminer ce que devrait être quelque chose comme une « juste conception de l’homme » nous fait horreur. Nous ne croyons pas avoir la possibilité de nous reposer sur une aucune idée de la nature humaine. Nous nous voyons, en ce domaine, réduit à faire face au silence avec sérénité. Et il est extrêmement triste, la colère passée, de voir la hiérarchie catholique française se précipiter au chevet d’abstractions et de généralités creuses plutôt que d’accueillir particulièrement chaque fruit que dieu fait croitre. Nos évêques se sont-ils demandé s’il valait la peine de précipiter la veuve et l’orphelin dans une irrémédiable disqualification plutôt que d’accepter qu’on puisse laisser vivre des homosexuels dont ils seront bientôt ravis de baptiser les enfants ?





[1] Il était aussi question « que tous nous aidions chacun à découvrir son propre chemin pour progresser vers le bonheur ». Considérant que le bonheur est un idéal de pourceaux, et habitués à entendre des intentions de prière, au demeurant fort touchantes, qu’on croirait piochées au hasard des rayons « développement personnel » de la fnac, nous ne nous étendrons pas là-dessus.
[2] Il ne nous semble pas que, dans le concert médiatique qui se déploie ces temps ci, on ait énormément entendu la voix des enfants élevés par des couples homosexuels, et tout le monde semble très bien s’accommoder de ce silence. Une presque exception notable : http://www.franceinter.fr/emission-interception-homosexualite-en-debat-la-parole-oubliee

La visite de Simon




Peu de temps après son transfert à la maison centrale de Ensisheim, alors qu’il était encore en observation au quartier entrant, Jésus fit une tentative de suicide. Aussitôt, le chef de détention ordonna son placement en surveillance spécifique, et mit son dossier à l’ordre du jour de la commission pluridisciplinaire unique hebdomadaire.

Comme on ne trouvait aucune solution pour son cas, il fut convenu, faute de mieux, de commencer par lui attribuer un visiteur de prison. Comme tous les visiteurs étaient occupés, le responsable local des visiteurs pensa d’abord s’en charger lui-même. Or, cette semaine-là son épouse invita à dîner un de leurs voisins prénommé Simon de Cyrène, qui venait de prendre sa retraite. Profitant du dîner, le responsable des visiteurs tourna la conversation sur ses activités bénévoles et il parvint à convaincre M. de Cyrène de devenir visiteur à son tour. Avant de le quitter, il l’assura qu’il appuierait sa demande auprès de la direction, ajoutant qu’il avait bon espoir que les choses aillent vite, à cause de ce Jésus, pour lequel le personnel de la prison était très inquiet.

La directrice, ayant reçu sa demande, prit avis du chef de détention, et en moins de quinze jours, Simon de Cyrène était engagé à rendre une visite hebdomadaire à Jésus.

La libération de saint Pierre - Hendrick Terbrugghen

Ce jour là, Simon vint comme chaque vendredi voir Jésus à la prison. Lorsqu’ils furent seuls dans le parloir, Jésus monta sur une chaise pour ouvrir la lucarne et, s’étant assis de nouveau, alluma une cigarette. « Je crois que c’est interdit », dit Simon. « Tu sais qui je suis ? » répondit Jésus. « La directrice fume à sa fenêtre. Je la  vois de la cour de promenade. En vérité je te le dis, mon Simon, il y a en face de toi plus que la directrice. »

(…)

-       Depuis le moment où le procès est devenu un peu chaud, tous mes comités de soutiens sont en sommeil. Il n’y en a plus un pour dire un mot. Ils se réveilleront plus tard, tu verras. Il faut être lucide : sans leur lâcheté depuis les assises, ils seraient tombés avec moi, et l’association que Pierre préside à ma demande aurait coulé définitivement. Ils y passeront, comme moi, bon nombre d’entre eux, mais plus tard. L’humanité n’a pas voulu du Royaume par la voie courte : soit ! ils passent maintenant par la voie longue, et elle est pas toujours belle à voir. Après une première journée de route, mes disciples sont arrivés à leur premier refuge : c’est une maison grouillante de pèlerins, tenue par de pieuses dames, et qu’on appelle « lâcheté ». Ils repartiront de là après ma mort, compte là-dessus. Cette lâcheté initiale, ça va les galvaniser pour la suite : je te laisse imaginer le désastre. Ils voudront plus jamais rien lâcher, ils seront obsédés par la culpabilité... Cette bande de guignols ! Ca sera une de ces confusions. Quand je les vois partir comme ça… la catastrophe que ça va être.

-      Vous n’avez peut-être pas toujours bien choisi vos fréquentations…

-      Que ça soit des branques, ça je l’ai toujours su, c’est pas ça qui m’inquiète. Avec d’autres, ça aurait été pareil, peut être pire même. Des gens compétents peuvent faire beaucoup plus de mal que ces abrutis là.

-      ...

-      Enfin, Jeannot a quand même accepté d’héberger maman, c’est plutôt sympa de sa part…

-      C'est vrai, c'est gentil.

-     ...mais pendant ce temps là, ils me regardent crever. Ils vont me regarder crever jusqu’au bout, tu vas voir ! Note que je ne leur en veux pas. Je n’attendais pas autre chose. Je l’avais prédit qu’ils m’abandonneraient tous. Ca l’avait vexé Pierrot… Ils m’ont tous abandonné. Même mon père, même lui !

-     Votre père n’a pas pu vous abandonner complètement… Il pense sûrement à vous. Et puis même si c’est difficile pour l’instant, pour lui, il reviendra sûrement vers vous. Vous êtes son fils quand même. Ne doutez pas de votre père. Il faut le comprendre, son fils est en prison. Les gens ont du mal avec ça. Moi non, bien sûr, parce que je connais, mais laissez-lui le temps. Il vous aime au fond de lui, j’en suis sûr.

-      Si c’est le cas ça ne se voit pas. N’importe, je sais ce que je fais. Enfin je crois… Je croyais, je sais plus. Je sais plus rien mon pauvre Simon. La veille de mon arrestation, c’était dur. Je me suis dit, si c’est inévitable, si c’est la seule route possible, soit, je porterai ma croix. On m’a pas laissé le choix : c’est moi qui le leur ai donné le choix. Maintenant que je suis là, je me délite, je pars en lambeau, je sais plus. Et d’abord qu’est ce que tu fous là toi ? Hein ?

-      …

-     Tu sais pas toi-même… On t’a dit que j’avais besoin d’aide, alors t’es venu. C’est sympa. Mais enfin elle pèse pas très lourd, sur tes épaules, ma croix. Moi je suis à moitié mort mon vieux. Je pars déjà en décomposition. Ils t’on foutu dans mes pattes parce qu’ils veulent pas que je meure trop tôt, il faut que je fasse ma peine de perpétuité jusqu’au bout. Je sais très bien que j’aurai pas de conditionnelle. Je vais pas changer d’avis et si je ne change pas d’avis, eux non plus n’en changeront pas, à moins d’un miracle. Mais il n’y aura pas de miracle et tu sais pourquoi ? Parce que c’est tous des fils de chiens.

Ils t’on foutu dans mes pattes. Je fais quoi moi ? Je refuse ? J’ai déjà refusé les médocs… De toute façon si j’accepte, je les laisse m’enfermer, et si je refuse, je reste tout seul en cellule, autant dire que je m’enferme moi-même. Je suis fait comme un rat. Et toi tu m’accompagnes…

Tu t’es sans doute jamais demandé pour quelle raison il fallait pas que je meure avant d’arriver au bout. On t’a dit, lui il tiendra pas, vas y, va l’aider à porter sa croix. Bon, ben voilà, tu m’aides. Tu me soutiens psychologiquement, tu assistes ma conscience qui part en lambeaux, tu souffres mes délires - et tu les souffriras jusqu’à la fin de ma perpétuité, toi ou un autre, parce qu’il y en a des centaines d’autres comme toi. Grâce à toi - et à vous tous -  je vais aller au bout de ma peine de perpétuité.

Ce qu’il y a de gênant là dedans, vois-tu, c’est pas tant que tu veuilles prolonger mes souffrances, ça, au fond, j’accepte… Non, ce qui me gène, c’est que dans cette idée qu’il faut que j’aille jusqu'au bout de ma perpétuité, il y a un truc un peu trop volontariste, héroïque disons, dans lequel je me reconnais pas. Mais pas du tout. Crever en cours de route, moi ça me pose pas de problème. D’ailleurs, d’un point de vue très pragmatique qui ne devrait peut être pas avoir sa place ici, Pierrot et les autres commencent à prendre de l’âge, il faudrait pas trop tarder. Non, mais ça me gène qu’on m’impose cet héroïsme. « Il faut qu’il aille jusqu'au bout » : Qu’est-ce que ça change ?

Oui, vois-tu, qu’on introduise, par ta bienveillante entremise, de l’héroïsme là-dedans, c’est peut-être ce qui me fait le plus mal. Si tu croises Pierrot, surtout, dis-le lui. Tel que je les connais, ils seraient bien capables de tomber dans le panneau. Certes, tu me diras, au niveau du coup de pub, l’héroïsme c’est efficace : quand la terre entière aura enfin compris que je suis innocent, si en plus je peux avoir l’air héroïque, les médias vont en raffoler. Mouais… Moi, je trouve qu’il y a déjà suffisamment de vers dans le fruit pour pas rajouter encore celui-là. J’ai bien peur qu’on me défigure, mon pauvre Simon… On est en train de me donner un visage inhumain. Surhumain, c’est le comble ! Enfin, les médias feront ce qu’ils voudront. Ils n’auraient aucun pouvoir s’ils ne le tenaient pas d’en haut, n’est-ce pas ?

Et puis Pierrot tombera pas complètement dans le panneau. Il y tombera, je le connais. Mais pas complètement.


-      Je vois bien que vous êtes encore dans la révolte... A votre âge...

-       Mon vieux Simon, je te dis à la semaine prochaine.

-      Il faut travailler sur votre violence, vous savez. Ce n’est pas une fatalité. Vous pouvez progresser, il faut y croire.

-      Au revoir Simon.

-      Vous avez écrit pour voir le psy ?

-      Allez, sois sympa, fous moi le camp.

-      Vous pourriez aussi aller au culte ?

-      ...

-      Vous penserez quand même à mon conseil ?

-      La paix !