Le témoignage que nous
publions ici est le résultat d'une rencontre sur twitter, suite à la publication de
notre appel à contribution (et même en fait un peu avant). Comme son auteure ne
savait pas comment commencer directement un écrit, l'élaboration de son
témoignage a pour point de départ un entretien d'un peu plus d'une heure, dont
la transcription a été progressivement mise en forme, amendée, découpée,
complétée... Le texte a donc été progressivement muri et discuté pour aboutir à
cette version.
Précisions
préalables :
Le récit qui suit tient pour beaucoup au fait que ma
grand-mère me considérait mature et « choisie » par Dieu, elle n'a
donc absolument pas adapté les enseignements à mon âge. Malgré tout, elle était
une personne importante et respectée de la communauté de l’Emmanuel, diffusant
ses conseils et enseignements à beaucoup d'autres membres, on ne peut pas
considérer son comportement comme minoritaire et non représentatif.
Ce sont des souvenir qui datent d'il y a à 10 ans : je
ne fréquente plus de gens de ces communautés, et j’ai coupé les ponts avec ma
famille… donc je n’ai aucune information sur ce qui a pu se passer dans les dix
dernières années. Ce sont des informations qui sont très parcellaires, à partir
d’yeux d’enfant très impressionnée, très impressionnable. Malgré la confusion
apparente des souvenirs, le traumatisme qui en a résulté montre qu’il se
passait bien quelque chose d’anormal, que je ne veux pas minorer.
De ma naissance jusqu'à l'âge de 14 ans j'ai été élevée dans
un environnement entièrement et uniquement catholique. Mes parents étant très
défaillants, ma grand-mère m'a partiellement prise en charge, à la condition
que chaque moment de ma vie soit dans le cadre de la religion catholique.
J'ai été baptisée peu après ma naissance. Puis elle a
insisté pour que j'aille dans un
établissement privé catholique sous contrat dés la première année de
maternelle. Mon premier souvenir est ma première confession, à l'âge de 4 ans.
Un prêtre est passé dans ma classe pendant le temps scolaire et nous avons
défilés individuellement. Il nous a raconté que si nous ne confessions pas ce
que nous avions fait de mal, le diable viendrait nous chercher dans la nuit.
J'ai confessé en tremblant avoir volé de la pâte a modelé la veille. J'étais
terrifiée, j'en ai faits des cauchemars pendant des années. Là où d'autres
enfants auraient pu en parler à la maison et être rassurés sur le fait que le
diable ne viendrait pas, ma grand-mère en a remis une couche en me disant que
c'était vrai, et que comme j'étais une âme pure, il fallait que je m'y attende.
J'ai poursuivi ma scolarité ainsi, recevant des cours de catéchisme à l'école,
qui était bien une école sous contrat.
Une foi bizarrement
superstitieuse : rituels charismatiques et imaginaire démoniaque
Nous faisions partie de la communauté de d’Emmanuel, qui
a une réputation très festive, elle fait
partie du mouvement renouveau charismatique. On chante, on danse, on fait la
ronde, on exulte le seigneur. Ça cache aussi une approche très mystique de la
foi. Je pense par exemple aux réunions où on invoque l'esprit saint pour qu'il
« pénètre » dans une personne de l'assemblée. En tant qu'enfants nous
n'y étions pas conviés mais nous apercevions des bribes en regardant par les
trous des serrures. Il y a des transes, et des gens qui « parlent en
langue ». C’est très éloigné de l'ambiance des églises catholiques
classiques. Lors des réunions d'été à Paray-le-Monial, je participais aux
veillées dans la grande tente. On y entendait souvent des témoignages de gens
ayant des apparitions, des visions, dont un grand nombre n'est pas reconnu par
l'église actuellement.
A cette ambiance surnaturelle, il faut rajouter les
enseignements que me dispensait ma grand-mère à moi seule, mais qui concordent
parfaitement avec la ligne de la communauté, avec beaucoup de place pour le
diable – le diable qui va te séduire, te torturer… Ma grand-mère me parlait
beaucoup du saint curé d’Ars. Elle me racontait comment il était torturé par le
diable des nuits entières, qu'il faisait apparaître des insectes sur son lit,
faisait trembler les objets, les faisait tomber autour de lui, uniquement parce
qu’il « volait » des âmes au diable et les remettait dans le chemin
de Dieu. Elle me disait que comme j’étais pure, et que le diable s’attaquait
aux êtres les plus purs, il fallait que je m’attende à être attaquée. J’ai
grandi vraiment dans la terreur du démon : c’est très violent pour une
enfant.
Elle occupait une place centrale dans la communauté. Je
crois qu’elle était à la tête d’un des groupes de prière qui se réunissaient au
moins une fois par semaine, les uns chez les autres. C’était une des plus
anciennes et elle était très respectée. Donc je ne peux pas dire que ses vues
mystiques et un peu superstitieuses étaient minoritaires et ne lui
appartenaient qu’à elle. C’était vraiment quelque chose que partageait son
groupe. Et de toute façon, ça correspond à l’ambiance des réunions de prière.
J'ai aussi souvenir d'une publication du magazine de la
communauté de l'Emmanuel dont le titre était « n'ayez pas peur » et qui
m'a paradoxalement effrayée des années. Ce numéro spécial traitait de
l’ésotérisme et les sciences occultes. Il était rempli de témoignages de gens
racontant avoir été harcelés par des proches à l'aide de magie noire, de
personnes victimes de possessions suite à l'usage d'un pendule, mais aussi des
divers groupes de rock adeptes du démon et des messages subliminaux glissés
dans chacun de leurs morceaux.
Il y avait une obsession pour le démon, on le voyait partout,
tout le temps. On nous répétait constamment qu’il est beau, qu’il se déguise
pour nous plaire, qu’il se fait attirant pour qu’on le suive.
Du coup, puisque le démon est beau et séduisant, il faut
faire attention, mener une vie d’ascète… On jeûnait beaucoup. Le vendredi, chez
ma grand-mère on était au pain fait soi même et à l’eau. C’est un truc qui
venait des apparitions de Medjugorje. Ma famille y était très attachée, et mon
frère y avait été en pèlerinage. On nous en a beaucoup parlé, on nous a
beaucoup lu les bulletins dans lesquels sont publiés tous les mois les messages
délivrés là-bas par la vierge. Je ne sais plus si elle a donné une recette
particulière ou si elle a seulement dit qu’il fallait faire soi même son pain
quand on jeûne. Mais ce que je sais c’est que tous les vendredis on faisait
notre pain, et on ne mangeait rien d’autre. Et si on pouvait le faire le
mercredi c’était mieux, mais ce n’était pas obligatoire.
C’est vrai que l’attachement aux apparitions de Medjugorje
était propre à ma famille. Et, je ne sais pas ce que la communauté et l’Eglise
disent de ces apparitions, si elles sont officielles ou pas. Quoi qu’il en
soit, il y a des messages qui me semblent un peu ambigus. Ils sont sensément
transmis par la vierge à des paysans lors de visions et parlent beaucoup du
jeûne, de la pénitence. Il faut beaucoup se repentir pour les péchés du monde,
qui la font beaucoup souffrir. Il y a aussi des annonces comme quoi quelque
chose serait imminent, je n’ai jamais bien saisi quoi.
Il y avait une ambiance très intense de superstition, chez
moi mais aussi à l’école, dans la communauté…
– par exemple quand on nous disait, dans la communauté, de chercher à
connaître le nom de notre ange gardien, qui est sensé nous apparaître, on ne
sait pas trop comment : un jour on le sait, on ne sait pas comment, parce
qu’il nous l’aurait dit… Ça semble confus, mais ça l’était pour moi.
Et puis c’est tellement dur d’avoir du recul quand on est
dedans, surtout quand on est enfant : on ne se rend pas compte, on trouve
ça très conventionnel. Je suis sûre que la plupart des gens qui étaient dedans
seraient horrifiés de m’entendre en parler comme ça parce que ça ne correspond
pas à la façon dont ils le perçoivent. Mais je vivais dans la peur constante,
et évidemment on me présentait un endroit sûr, un moyen certain d'être
protégée : la prière. Malgré mon jeune âge (entre 8 et 13 ans) on
m'encourageait dans la voie de la prière constante. Y compris lors de veillées
d'adoration à 2H du matin. Je n’avais aucun recul, aucune possibilité de mettre
en perspectives les enseignements reçus et aucune échappatoire. Aucun adulte ne
m'en a offert à aucun moment. Mon plus grand désir était d'ailleurs d'obtenir
une dérogation papale à 15 ans pour pouvoir m'enfermer dans un Carmel, comme
Thérèse de Lisieux.
J’ai l’impression qu’on nous élevait un peu comme des petits
soldats de l’esprit saint, qui allions devoir prendre la relève, nous battre
dans un monde corrompu, un monde de décadence morale où le diable est partout.
On nous parlait beaucoup de Saint Michel Archange, de son combat, en ce moment
même. Il fallait l’aider avec nos prières et nos âmes pures. Toujours cette
notion très violente de combat réel, entre les forces du bien et du mal. Le
diable est partout, dans l'IVG, dans l'homosexualité, dans la sexualité hors
mariage, dans les films violents ou érotiques, dans la contraception, dans les
chansons pops. Nous allions devoir construire une société conforme à cette
idéologie.
Dans la vie quotidienne, on essayait beaucoup en tant
qu’enfants de nous protéger de certaines choses, que ce soit à l’école, aux
guides d’Europe ou à l’aumônerie du quartier. On nous disait beaucoup qu’il ne
fallait pas qu’on regarde, qu’il ne fallait pas qu’on voie des choses qui
pourraient être mauvaises, certaines émissions, certains livres. Parce que les
yeux c’était la porte de l’âme et qu’il fallait qu’on garde une âme pure si on
voulait être acceptés par Jésus dans le monde d’après, et même si on voulait
continuer à prier ou à communier.
A l’école il y avait des gens plus ouverts, mais on se
mettait à l’écart. Eux ne nous mettaient pas à l’écart, mais on s’y mettait
volontairement. Parce qu’ils faisaient certaines choses. Par exemple au
collège, il y avait beaucoup de mes amis qui voulaient faire du spiritisme. Et
bien je me rappelle qu’on priait pour eux, pour les protéger du démon. Quand je
repense au groupe d’amis avec qui je traînais, je me dis qu’on devait faire un
peu illuminés, quand même. On était des jeunes ados, on avait 10-11-12
ans ; c’étaient nos seuls repères et tout le reste, c’était le mal. Il
fallait essayer de convaincre les autres qu’ils étaient sur la mauvaise voie.
Nos amis qui avaient leurs premiers flirts, c’était le diable qui les
entraînait… et les adultes qui voyaient ça, ça ne leur posait aucun problème,
ils nous encourageaient dans cette voie au contraire.
Dans le cadre des guides, on nous a prévenues des dangers
qui nous guettaient à l’extérieur, qu’il ne fallait pas traîner avec les
garçons, qu’il fallait rester vierge jusqu’au mariage, que c’était très
important. Ce sont des choses très classiques dans l’Église, mais elles sont
très dures à relativiser quand on n’a pas de référence à l’extérieur :
quand on va à l’aumônerie, qu’on va dans le même groupe de prière, que son
temps libre c’est les scouts, que ses seules amies c’est les filles des scouts.
Pour nos lectures, il fallait que ce soit toujours des
choses chrétiennes. J’étais abonnée à Grain de soleil uniquement. Le reste,
c’était beaucoup de romans scouts – il existe une abondante littérature
scoute, assez désespérante par sa qualité. Ça restait toujours plus ou moins
dans ce monde là, et on regardait d’un œil navré nos amis, à l’école, qui
s’intéressaient à des choses différentes.
Un progressisme de façade
Derrière un discours affiché très progressiste, la réalité
ne l’était pas du tout. Les liens entre différents courants, plus ou moins
intégristes, étaient très flous. Quoi qu’on en dise, il n’y a pas un grand
écart entre Saint Pie X et l’Emmanuel. Il y a des différences, certes, mais,
tel que je l’ai vu, il y a aussi une grande continuité. Beaucoup de gens
jonglent entre les deux et ont envie d’avoir l’air bien propre sur eux :
pas racistes, pas sexistes, pas homophobes… Mais ce ne sont que des mots :
dans leurs actes, ils le sont, en permanence. Je me souviens par exemple d’un
prêtre, à l’aumônerie de la paroisse, qui nous disait que l’Islam était la
religion du diable, qu’il était persuadé que le diable s’était déguisé en ange
pour parler à Mahommet…
Autre preuve que les rapports avec les communautés
intégristes étaient bons : la compagnie de guides d’Europe dont je faisais
partie se regroupait souvent avec une autre compagnie traditionaliste, proche
de la fraternité Saint Pie X. Et nous participions à des messes et des
enseignements religieux communs.
Il y avait également un double discours au sujet de la
Charité. La communauté rassemblait le gratin de la province, des gens
socialement très élevés, des châtelains avec d’immenses propriétés, de la
vieille noblesse ; des réseaux très tissés dans la province. J’étais un
peu « la petite pauvre » de la communauté. Ils me faisaient la
charité en m’acceptant, mais c’était une acceptation conditionnelle. Et on me
faisait sentir que je n’étais pas leur égale. Au camp scout par exemple,
j’étais la seule à ne pas payer, on me le faisait savoir. Ils avaient un
discours magnifique sur la Charité, mais au final elle était utilisée pour
rabaisser des gens, et flatter des ego.
En termes d’affiliation politique, en tant qu’enfant ce
n’est pas la chose à laquelle j’étais le plus sensible, et ça n’était de toute
façon pas mis en avant dans la vie de la communauté. Mais de fait, il avait des
personnes de la communauté de l’Emmanuel qui étaient liés à l’extrême droite.
On avait notamment dans mon collège la fille, ou la petite fille, d’un ancien
élu FN. Des chrétiens démocrates, assez concernés par les questions sociales
mais très conservateurs dans les valeurs morales, cohabitaient très bien avec
des membres de l’extrême droite. Je sais que ma grand-mère votait à gauche, et
en parlait dans la communauté.
Cela ne m’étonne pas, par conséquent, que dans les
mouvements de protestation récents, type manif pour tous, chrétiens démocrates
et intégristes d’extrême droite manifestent côte à côte.
La rupture
A partir de la quatrième une certaine mixité s’est installée
dans mon collège catholique, l’aumônerie n’étant plus obligatoire. J’ai eu à
partir de cette année-là des amis qui n’étaient pas croyants, ou dont les parents
étaient de tradition catholique mais sans être pratiquants, sans faire partie
d’une communauté.
Avec ces amis, on a commencé à discuter, à sortir, à faire
ce que les gens de notre âge font. Et je me suis rendue compte que ma foi était
artificielle. Et qu’en fait j’y croyais parce qu’on m’avait dit d’y croire mais
que spontanément, si je me posais la question, ça ne me paraissait pas très
réaliste tout ça. Toutes ces choses qu’on me faisait faire, et que je devais
croire me semblaient tout à coup complètement ridicules. J’ai demandé à aller
au lycée public. Ce que j’ai obtenu, mais on m’a quand même obligée, donc, à
aller encore un peu à l’aumônerie du quartier.
Quand j’ai rompu avec tout ça, je me suis sentie très perdue
et surtout je crois que j’ai perdu confiance en général dans les gens et dans
l’humanité. C’était un peu le ciment de ma vie, j’avais un environnement très
problématique, au niveau familial ; donc il n’y avait rien de stable, rien
auquel je pouvais me fier. C’est aussi pour ça que je m’y étais jetée à corps
perdu, que je priais du matin au soir : c’était un refuge. D’ailleurs ma
grand-mère insistait beaucoup sur mon statut de martyr. Elle a nié les
maltraitances dont j’étais victime, pas au sens strict, puisqu’elle les connaissait,
mais en me demandant d’être une martyre du seigneur, et de dédier mes souffrances à Dieu.
Du coup j’ai tout rejeté en bloc. J’ai dit à ma grand-mère
que je ne croyais plus, et que je ne voulais pas entrer au couvent, que je n’y
trouvais pas mon compte et que je n’étais pas catholique et que c’était comme
ça. Ça s’est très très mal passé. Elle a convoqué des réunions de prière tous
les soirs pour le salut de mon âme. Beaucoup de gens de la communauté m’ont
appelée, alors qu’ils ne m’appelaient pas avant, pour me dire « Marie tu
fais du mal à ta grand-mère » « c’est le diable qui t’emmène sur son
chemin… » Les gens me disaient clairement que je m’étais laissée séduire
par le diable. Il y a eu beaucoup de choses de cet ordre, et finalement ça
s’est décanté. Surtout quand j’ai annoncé mon homosexualité : là, j’étais
perdue. C’était fini. Je crois qu’ils m’ont considérée irrécupérable, ils
doivent parler de moi avec une larme à l’œil, la pauvre petite qui était
prometteuse et qui s’est perdue en chemin. Je crois qu’il y a toujours des
réunions de prière qui prient pour le salut de mon âme. Mais personne ne vient
plus m’embêter. Surtout depuis que j’ai déménagé.